31 mai 2015

Mission: La prétention d'être meilleur que les autres


De toutes les nations
faites mes disciples
Les chrétiens d'aujourd'hui ont mal à leur mission. Ils ont mal à leur histoire, et en particulier à la façon dont cette histoire s'est développée au travers d'une mission mal comprise, qui a servi de couverture, de justification aux pires exactions. Je pense en particulier à la conquête du prétendu Nouveau Monde, puis à la colonisation.
De toutes les nations
faites mes disciples
Prédication du 31 mai 2015, Berne

Lectures:


Chers Amis,
Les chrétiens d'aujourd'hui ont mal à leur mission. Ils ont mal à leur histoire, et en particulier à la façon dont cette histoire s'est développée au travers d'une mission mal comprise, qui a servi de couverture, de justification aux pires exactions. Je pense en particulier à la conquête du prétendu Nouveau Monde, puis à la colonisation. Mais on peut aussi voir les Croisades comme une tentative de reconquête de quelque chose d’autrefois gagné.
Les chrétiens d'aujourd'hui ont peur d'être missionnaire, précisément à cause de cette histoire, à cause de la façon dont une bonne nouvelle porteuse d'espoir a servi de justification à la destruction de peuples entiers, à un asservissement d'une part de l'humanité, dont on sent encore les traces aujourd'hui, et plus que des traces, des lignes de fractures, une division de l'humanité.
« Allez donc : de toutes les nations faites des disciples ! », c'est une injonction qu'on ose à peine lire aujourd'hui, quand on sait ce qui a été fait au nom de cette parole !
Mais c'est peut-être précisément pour ça qu'il faut la lire, pour comprendre ce qui s'est passé mais aussi pour redéfinir notre position de croyant, aujourd'hui, au sein d'une société qui prend ses distances avec les Églises, tout en continuant de cautionner certaines fractures planétaires héritées du passé, comme celles entre les pays pauvres et les pays riches.
Il s'agit en fait de l'extraordinaire arrogance qui consiste à penser que nous sommes meilleurs que les autres, que nous sommes les dépositaires de quelque chose qui nous donnerait le droit de dénier aux autres la permission d'être ce qu'ils sont.

* * *

Mais d'où vient donc cette prétention ! ?
Certains diront qu'elle vient précisément de l'invitation à faire de toutes les nations des disciples du Christ !
Seulement, que disent les mots de cette invitation ? En particulier, qu'est ce qu'une nation ? Et aussi, qu'est ce qu'un disciple ?
Commençons par les nations. C'est une des manières de traduire τὰ ἔθνη (ta ethnè, qui a donné le mot ethnie). On peut aussi le traduire par les peuples. Dans la Bible, c'est la manière traditionnelle de désigner les non-juifs. Ici, il s'agit de tous les peuples.
Rien à voir avec les nations au sens où nous l’entendons aujourd'hui. Il ne s'agit pas des États, mais des gens, dans leur diversité.
Rien non plus de l'idée qu’un peuple serait moins bon qu'un autre, du simple faite qu'il n'a pas entendu parler ni de Dieu, ni de Jésus-Christ. Au contraire, Jésus n'a pas cessé, au grand dam de ses coreligionnaires juifs, de souligner que les étrangers font souvent meilleur accueil à l'évangile que ses destinataires supposés ! Pensez à la femme syro-phénicienne, ou à la Samaritaine.
Et, justement dans notre passage, il est rappelé que les onze disciples eux-mêmes ne sont pas des champions de la foi : ils ont des doutes !
Ces doutes ne sont pas mentionnés par hasard : ils sont constitutifs de la mission !
Il s'agit d'espérance, de foi en quelque chose d’impalpable, et pas de certitudes que l'on pourrait imposer aux autres. Je dirais même que c'est ce qui rend la mission crédible. Non pas l'arrogance de ceux qui pensent avoir compris le monde et se font devoir de l'expliquer aux autres, mais les mots d'une fragile espérance : je crois que Jésus-Christ a ouvert un chemin qui surmonte même la mort. C'est mon espoir et je le partage sans exclure qui que ce soit, mais dans le respect de ma propre fragilité et de celle de l'autre.

* * *

Maintenant, qu'est ce qu'un disciple ? Qu'est-ce que c'est, « faire des disciples » ? Et en particulier, faire des disciples alors qu'on en est un soi-même ?
Un disciple, un μαθητής (mathétès), c'est quelqu'un qui veut apprendre, qui se met en quelque sorte à l'école de Jésus-Christ. C'est un curieux, un curieux de Dieu, de la vie, mais aussi de l'autre, de la même façon que le Christ s'est toujours intéressé aux autres.
Faites des disciples : soyez curieux, et contaminez les autres avec votre manière de vous intéresser, de poser les bonnes questions, d'avancer dans la vie. Ne vous prenez pas pour des maîtres ! Osez ne pas savoir !
Comment faudrait-il aujourd'hui paraphraser « faites de toutes les nations mes disciples » ?
Une proposition : « Soyez des curieux de Dieu, partagez votre curiosité sans exclure personne, faites des autres des curieux de Dieu, comme vous.

* * *

Avec ça, on n’a pas répondu à la question : « D’où vient la prétention d'être meilleurs que les autres ? »
On peut chercher des boucs émissaires. Accuser la religion, les idéologies, la société, le monde économique…
L'honnêteté, c'est de reconnaître que cette prétention d’être meilleurs que les autres n'a besoin ni de religion, ni d’idéologie.
Comme dirait Georges Brassens, cette prétention vient tout simplement du fait d'être né quelque part, et de penser que ce lieu, l'air qu'on y respire, la terre qui s'y trouve, et même le crottin des chevaux sont meilleurs qu'ailleurs.
Funeste illusion, à laquelle l’invitation de Jésus à sortir du cadre est justement une réponse !
Allez ! Intéressez-vous aux autres ! Oser vivre dans l'espoir plutôt que dans la peur ! Ne rougissez pas d’être en recherche ! Devenez des disciples ! Ouvrez-vous, et aider les autres à s’ouvrir aussi !
Amen

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