24 décembre 2015

Vous avez dit, clash des civilisations?


Le prologue de Jean nous montre un Dieu qui prend un risque inouï, celui de ne pas être compris, de ne pas être accueilli. Un Dieu qui, dès le commencement, par principe, ne veut pas s'imposer. Un Dieu qui met en avant la liberté de sa créature.
Un Dieu qui prend part à l'histoire des humains, dans tout ce qu'elle a de tragique, encore et encore. "Et la Parole s'est faite chair".
Prédication du 24 décembre 2015, Berne

Lectures: Luc 2,1-14
Jean 1,1-14








Thème : Vous avez dit, clash des civilisations?


Chers Amis,
Après les attentats du 11 septembre 2001 on avait beaucoup parlé du clash des civilisations, et l’on voulait dire par là, la collision d'une soi-disant culture occidentale, qui se veut humaniste et démocratique, avec la culture des «autres» dont on sous-entend qu'elle serait absolutiste, opposée aux valeurs individuelles, bref méchante et mauvaise.
Des expressions comme «l'axe du mal» ont souligné cette idée d'une humanité coupée en deux.
Or nous voici confrontés à des événements beaucoup plus proches, et la tentation est grande de reprendre les mêmes schémas, même si les bons et les méchants ne sont plus tout à fait les mêmes.
Sauf qu'il y a une grosse différence entre les États-Unis et notre réalité européenne.
Aux États-Unis, la pratique religieuse chrétienne était et est encore très fortement liée à la manière de vivre des gens, c'est l'american way of life, avec ses multiples églises qui occupent une grande place dans le quotidien des gens.
Dans ce contexte, il était possible de parler de la culture américaine comme d’un tout, même s'il fallait pour cela «oublier» les minorités appartenant à d'autres religions, ou à aucune…
Les attentats de Paris, déjà celui de février, ont montré un clash des cultures à l'intérieur de nos sociétés, un conflit de valeurs et de manière de comprendre notre monde.
Nous assistons en particulier à la montée en puissance d'une idéologie anti-religion, qui voit dans toute conviction labellisé «religieuse» un danger, voir la source de tous les maux.
En réalité, ce n'est pas nouveau, et les chrétiens hésitent déjà depuis longtemps à trop se profiler, à se montrer trop religieux, de peur de déplaire à ces adeptes toujours plus nombreux d’un laïcisme militant.
D’ailleurs les laïcistes se manifestent particulièrement à Noël, quand ils partent à la chasse aux symboles chrétiens dans l’espace public !
* * *
Au commencement était la Parole, dit l'Évangile de Jean.
Au commencement, pas seulement dans l'échelle du temps.
À la base, au fondement, se trouve la Parole.
Quelle parole ? Pas les mots humains.
La Parole en tant qu'intention. La Parole en tant que projet.
Au commencement était le projet de Dieu, et Dieu était tout entier dans son projet.
Il était, et il l’est encore, sauf qu'entre-temps ce projet a pris réalité face à Dieu.
Ce projet est devenu une histoire, et nous faisons partie de cette histoire.
Déjà là, certains nous arrêteront: «Vous ne croyez quand même pas sérieusement à ces bêtises d'un autre temps!»
Osons-nous dire: «Si, nous y croyons?! » Bien sûr pas au pépé barbu sur son nuage, mais au Dieu-projet, oui!
Osons-nous leur dire que l'idée d'un monde vide, dans lequel chaque être humain aurait mission de chercher son accomplissement personnel et où les seuls principes qui s'appliquent seraient la sélection naturelle et les lois du marché, que cette idée n'a pas plus de fondement que la foi, et surtout que cette idée porte en elle les germes du totalitarisme, de l'exclusion, de la violence?!
Car la violence n'est pas seulement chez les autres.
Nous avons raison d'être fiers de l'État de droit qui règne chez nous.
Mais nous ne devons jamais le considérer comme un acquis.
Et surtout, nous ne devons jamais oublier combien notre monde occidental est violent envers ceux qui en sont exclus.
Des millions de gens nous regardent vivre depuis leurs bidonvilles et rêvent de ce monde qu’ils découvrent dans les séries télévisées.
Là où nous n'avons qu'à montrer patte blanche pour voyager partout, d'autres sont systématiquement refoulés, ils ne rencontrent que barbelés, montagnes, déserts, mers quasiment infranchissables.
La barbarie n'est pas seulement chez les autres. La nôtre s'exporte, elle se vit par procuration. Elle s'appelle exclusion, spoliation, exploitation.
Au commencement était la Parole, au commencement était le projet de Dieu pour le monde. C'est ce que nous voulons oser dire à ceux qui affirment plutôt qu'au commencement, il n'y avait rien du tout, et que dans ce monde, c’est chacun pour soi!
Un projet de Dieu pour le monde, dans lequel chaque créature compte et chaque être humain est également important.
* * *
Au commencement était la Parole, nombreux sont ceux qui le pensent.
Seulement voilà. Certains voient cette Parole comme une sorte de principe absolu, intouchable. Ils voient en Dieu seulement l'unicité et la toute-puissance.
Et ils pensent que la société devrait refléter cette autorité absolue de Dieu sur toute chose.
Nous pensons bien sûr tout de suite au fanatisme de certains islamistes, ceux qui inspirent les actions terroristes dont on ne parle que trop. Bien sûr que ce fanatisme repose sur une lecture simplifiée du Coran, qui ne rend pas justice à la richesse de la spiritualité musulmane.
Mais nous ne devons pas oublier nos propres fondamentalismes chrétiens, que l'on trouve d'ailleurs dans toutes les confessions, aussi bien celles issues de la Réforme (qui comprend les églises protestantes et luthériennes, mais aussi les églises évangéliques et pentecôtistes) que les églises catholiques orthodoxes.
Un fondamentalisme qui consiste en gros, à lire les premières phrases du prologue de Jean, et à  oublier la suite.
Le Dieu puissant, créateur et normatif, on veut bien!
Et on veut bien d’une église à son image, et d’une société pareille!
Mais le Dieu qui se mêle à l'histoire des humains, on préfère le laisser de côté!
* * *
La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point comprise.
Cette phrase est extraordinaire ! Elle montre un Dieu qui prend un risque inouï, celui de ne pas être compris, de ne pas être accueilli.
Un Dieu qui, dès le commencement, par principe, ne veut pas s'imposer.
Un Dieu qui met en avant la liberté de sa créature.
Un Dieu qui prend part à l'histoire des humains,
dans tout ce qu'elle a de tragique, encore et encore.
Un Dieu qui, à moment précis de l'histoire humaine, au temps où Quirinius était gouverneur de Syrie, nous dit l'Évangile de Luc, a franchi l'infranchissable ligne, celle que nous voulions infranchissable, entre le monde céleste et notre réalité.
Un Dieu qui va pouvoir comme nous souffrir, un Dieu qui va pouvoir comme nous mourir, un Dieu qui l’a voulu comme ça.
Un Dieu qui veut prendre sur lui la face absurde, la face écœurante, la face honteuse de notre propre condition. Et qui va le faire, parce qu'il est Dieu! Et qui va habiter même le plus abject de ce que nous pouvons être, pour que même là, un rayon de lumière brille!
C'est ce mystère que nous célébrons cette nuit!
Et en le célébrant, nous voulons dire «non» à un monde vide, vide de sens.
En le célébrant, nous voulons aussi dire «non» à l'idée d'un Dieu monstrueux, qui justifierait le mal et l'abus de pouvoir.
Mais surtout, nous voulons dire «oui» à ce projet de Dieu, qui ne cesse de nous émerveiller:
Et la parole s'est faite chair et elle a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire,
cette gloire, que Fils unique plein de grâce et de vérité, elle tient du Père.
Amen

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