8 février 2015

Une terre chrétienne?


Cathédrale-mosquée de Cordoue
Sommes-nous sur une terre chrétienne? Je veux dire : le pays que nous habitons, appartient-il au Dieu des chrétiens? Pouvons-nous nous réclamer d'une sorte de légitimité divine, une légitimité qui nous donnerait un droit d'habiter cette terre, légitimité qui serait plus grande que celle de personnes qui croient en un autre dieu, ou ne croient en aucun dieu?

Cathédrale-mosquée de Cordoue
© flickr



Lectures : Esaïe 19 (extraits)
Matthieu 11,20-24
Hébreux 11,8-14







Chers amis,
Sommes-nous sur une terre chrétienne ? Je veux dire : le pays que nous habitons, appartient-il au Dieu des chrétiens ? Pouvons-nous nous réclamer d'une sorte de légitimité divine, une légitimité qui nous donnerait un droit d'habiter cette terre, légitimité qui serait plus grande que celle de personnes qui croient en un autre dieu, ou ne croient en aucun dieu ?
Je ne parle pas ici de la question de la légitimité historique, la question de savoir qui étaient là en premier, ou qui était là le plus longtemps… ni de la question de la légitimité démocratique : qui est le plus nombreux…
Non, je pose la question sous l'angle de la foi. En quoi notre regard de croyants influence-t-il notre façon d’habiter le pays où nous nous trouvons ?
Nous avons lu trois textes de la Bible. Trois époques, trois situations, trois manières différentes de penser cette question.
  • Le temps du prophète Ésaïe, 700 ans avant Jésus-Christ, dans un royaume de Juda tout petit, coincé entre des grandes puissances : l'Assyrie, Babylone, l'Égypte...
  • Le temps de Jésus, sous un régime d'occupation romaine, avec un judaïsme qui cherche un chemin entre révolte et soumission.
  • Et enfin le temps des premières communautés chrétiennes en diaspora dans le monde gréco-romain, à qui s'adresse le passage de l'épître dite aux Hébreux.
Commençons par Ésaïe. D'habitude, le prophète Ésaïe s'adresse aux habitants de Juda. On est à l'époque où la pression des pays voisins se fait particulièrement forte. Ésaïe pressent le désastre. Il voit d'un côté les Assyriens menaçants et de l'autre l'Égypte avec laquelle le roi de Juda envisage de faire alliance. Esaïe sent le danger de cette alliance contre nature, un danger politique mais aussi spirituel. Dans ses passages les plus connus, Ésaïe avertit du risque d'invasion… et cette invasion aura vraiment lieu, elle conduira à la déportation!
Mais dans notre passage, Ésaïe fait autre chose. Il voit plus loin. Il appelle à la confiance en Dieu, parce qu'il se représente un avenir plus lointain, où Dieu lui-même triompherait. Esaïe donne une prophétie pour chaque pays voisin. En Egypte, il voit Dieu désarmer ce pays en montant les gens les uns contre les autres, en semant la zizanie chez les politiques, et comme autrefois au temps des plaies d'Égypte, en montrant qu'il ne fait pas bon être contre un Dieu aussi puissant !
Ésaïe imagine une Égypte qui se laisse convaincre, qui se convertit, qui se met à adorer elle aussi le Seigneur de l'univers ! Et il imagine des assyriens qui suivent le mouvement, et qui adorent Dieu de concert avec les Égyptiens et avec le tout petit royaume de Juda. Une sorte de réconciliation dans et par la foi ! Avec Dieu qui les bénit tous comme l'œuvre de ses mains !
Une vision pleine d'espoir, mais qui lie complètement le territoire et la foi. On est dans la même logique que celle de l'Exode, ou Dieu dit : « je te donne ce pays, tu peux l'habiter si tu respecte les commandements ! »
Cette logique traverse le Premier Testament. Elle en est quasiment l'épine dorsale.
* * *
Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que, sept siècle plus tard, Jésus de Nazareth raisonne de la même façon, au moins dans un premier temps. Il part sur les chemins de Galilée et de Judée, pour annoncer le règne de Dieu aux membres de son peuple. Le peuple de Dieu, sur la terre de Dieu.
Il faut la foi d'une syro-phénicienne pour l'ébranler : « Je veux bien être comme un chien qui mange les miettes qui tombent de votre table », dit-elle, alors qu’il voulait la rejeter comme une étrangère.
Il faut aussi la résistance à laquelle Jésus se trouve confronté de la part des gens de son peuple, résistance de gens bien établis dans leurs traditions rassurantes. « Nous sommes bien chez nous. Nous avons toujours fait comme ça. Pourquoi changer quelque chose ? Assurément Dieu est avec nous ! »
L'épisode que nous avons entendu est l'une des « saintes colères » de Jésus, comme celle avec les marchands du temple, ou avec Pierre qu’il va jusqu’à traiter de Satan, lorsque celui-ci ne veut rien entendre quand Jésus annonce sa Passion !
Jésus est fâché. Matthieu nous dit que c'est parce que les villes où il avait fait des miracles ne s'étaient pas converties. Ce qui est clair c'est que Chorazin, Bethsaïda et Capharnaüm sont des villes du pays (la terre promise), alors que Tyr et Sidon sont des villes païennes. Autrefois, des villes phéniciennes. À l'époque de Jésus, des villes romaines.
Jésus maudit ces villes, dans la bonne tradition des prophètes d’autrefois. Et il laisse entendre que, si le peuple de Dieu n'accueille pas la bonne nouvelle, elle pourrait bien aller à d'autres.
C'est un tournant qui se prépare. L'Évangile de Matthieu se termine d’ailleurs sur un nouvel envoi en mission des disciples, cette fois-ci vers tous les peuples : « Allez, baptisez ! »
* * *
Le tournant se précise dans l'épître aux Hébreux, un texte adressé à des croyants qui se reconnaissaient sûrement eux-mêmes comme étrangers et voyageurs sur la terre.
Un passage où la foi est précisément ce qui permet à Abraham Sarah et tous les autres de vivre dans l’inconfort d'une situation où la terre ne leur appartient pas.
C’est la situation des premiers chrétiens pendant bien longtemps : Vivre comme une minorité dans un monde pluriel. Un inconfort, c'est sûr, mais auquel ce passage donne une dimension spirituelle : la patrie, la vraie, celle qui est espérée et attendue, c'est la patrie céleste. C’est d’être auprès du Dieu de Jésus-Christ.
* * *
Bien sûr, l'histoire des chrétiens ne s'arrête pas avec l'épître aux Hébreux. Ils n'ont été minoritaires et sans pays que pendant quatre siècles (mais quatre siècles quand même). Puis est venue la chrétienté, l'ère du christianisme, religion de tous, dans toute l'Europe. Une longue période où c'était au tour des chrétiens de laisser peu de place aux minorités.
Et nous sommes maintenant la génération qui connaît un nouveau tournant ! Et nous sommes, il faut le dire, divisés sur la manière de comprendre ce tournant.
Le fait est que le christianisme n'est plus la religion de tous dans notre pays. D'une part il y a la masse de plus en plus importante de ceux qui se considèrent sans religion, et qui souvent pensent que la religion est la source de tous les problèmes. D'autre part il y a la présence de plus en plus marquée de traditions spirituelles différentes parmi nous. Au XXe siècle, la religion juive a été accusée d'être la cause des problèmes économiques de l'Europe, avec les suites tragiques que l'on connaît.
En ce début du XXIe siècle, il est possible que d'autres religions soient désignées comme bouc-émissaires. Peut-être l'islam. Peut-être aussi le christianisme.
Certains pensent qu'un retour en arrière vers la situation de chrétienté est possible. Certains pensent y parvenir en excluant l'islam de l'Occident.
Pour ma part, je crois que l’Histoire ne va pas en arrière.
  • Ésaïe rêvait d'un pays où Dieu règnerait par sa puissance, une puissance si convaincante que les pays voisins allaient la reconnaître… une terre entière croyante… un peuple de Dieu qui s’élargirait à l’infini.
  • Jésus nous parle d'une promesse qui pourrait bien changer de destinataire…
  • La lettre aux Hébreux nous montre Dieu, nous préparant une patrie céleste, et nous invite à nous reconnaître ici comme passants, comme étrangers, comme invités sur une terre qui ne nous appartient pas.
Et nous ? Comment nous comprenons-nous ?
C'est aujourd'hui une prédication qui se finit sans « amen », car ce n'est pas à moi de le dire.
Nous sommes engagés sur un chemin exigeant, qui demande à chacun de se situer. Les changements de regard sur les choses prennent parfois du temps. Il faut nous laisser ce temps. Mais nous n'avons pas une éternité devant nous !
Soyez sûr que dans votre propre réflexion, Dieu fait route avec vous, lui qui en Jésus-Christ a choisi de n'avoir, contrairement au renard, aucun lieu où poser sa tête.

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